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Date: 25/04/2020

Le directeur général du ministère de la Santé fait part à « L’Orient-Le Jour » de l’aptitude logistique qui a permis à l’administration de contrôler la propagation du virus et d’afficher de bons résultats.
 
Avec 688 cas avérés d’infection au Covid-19 depuis l’annonce de la première contamination le 21 février, dont 22 décès et plus de 140 guérisons, le Liban figure au nombre des pays qui ont le mieux contrôlé cette pandémie, malgré la grave crise financière dont souffre le secteur hospitalier. À l’origine de ces bons résultats, les pouvoirs publics mettent en avant une bonne préparation logistique dirigée par le ministère de la Santé publique. Le Dr Walid Ammar, directeur général du ministère et membre du Comité consultatif indépendant de surveillance de l’Organisation mondiale de la santé, fait un tour d’horizon de la situation à l’intention de L’Orient-Le Jour.

Deux mois après la détection du premier cas, comment évaluez-vous la situation ?

Elle n’est pas mauvaise, surtout lorsque nous comparons nos chiffres à ceux affichés dans d’autres pays. Nous avons pu retarder le pic de l’épidémie, mais le risque n’est pas encore passé. La nouvelle vague qui devrait avoir lieu à l’automne dépendra du comportement du virus.

Qu’est-ce qui a permis au Liban d’enregistrer ces bons résultats ?

Nous nous attendions à une pandémie virale car, avec la globalisation et la facilité et la rapidité des transports, aucun pays n’est à l’abri des maladies transmissibles. Évidemment, nous ne pouvions pas prévoir sa sévérité, mais nous étions prêts.

Comment ?

En 1996, avec le début de l’épidémie de la grippe aviaire, nous pressentions qu’elle allait prendre l’ampleur d’une pandémie et que nous devons nous préparer. Nous avons alors créé le programme de surveillance épidémiologique, une unité qui jusqu’à présent n’existe pas officiellement dans l’organigramme du ministère.

En 2003-2004, lorsque l’épidémie de SARS est apparue, nous étions en plein processus de décentralisation de cette unité, qui s’est achevé en 2005. Lors de la pandémie de H1N1 en 2009-2010, nous avons organisé, en collaboration avec l’OMS, une formation dans les hôpitaux gouvernementaux et privés pour les initier à la mise en place d’un plan d’urgence qui sera activé avec la déclaration d’une pandémie. C’est ce qui a été fait avec le Covid-19.

Par ailleurs, en 2010, avec la pandémie de H1N1, le ministère a eu des problèmes pour faire admettre des patients dans les hôpitaux privés. Comme quoi le droit sacré des patients à choisir leurs médecins et les établissements où ils désirent être admis que défendent farouchement l’ordre des médecins et le syndicat des hôpitaux privés n’est plus valable face à une épidémie, les hôpitaux privés ne voulant pas des patients. Il était donc clair qu’il fallait renforcer le secteur public. L’hôpital universitaire Rafic Hariri était le seul établissement qui pouvait accueillir les patients. Nous avons donc œuvré à développer ses capacités. Nous avons créé une unité pour recevoir les cas contagieux nécessitant un isolement. Nous avons aussi équipé le laboratoire qui est devenu un centre de référence pour l’influenza, la rougeole et les maladies infectieuses.

En 2014, avec l’épidémie d’Ebola, nous avons envoyé deux membres de l’équipe de surveillance épidémiologique en Guinée et un troisième en Sierra Leone pour aider ces deux pays à faire face à l’épidémie. Mais ils ont été notamment formés à faire de l’investigation épidémiologique et à retracer les personnes qui ont été en contact avec celles atteintes du virus. Nous avons beaucoup travaillé pour renforcer ce programme.

Parallèlement, nous avons conclu un contrat spécial avec l’hôpital Hariri baptisé « Préparation pour l’épidémie », en vertu duquel le ministère lui verse de l’argent pour qu’il soit prêt à accueillir les patients en cas d’épidémie. Cela est d’autant plus important qu’à l’instar de tous les établissements hospitaliers ayant conclu un contrat avec le ministère, l’hôpital Hariri est payé à l’acte.

Qu’avez-vous donc fait dans le cadre de cette pandémie ?

Le 30 janvier, lorsque l’OMS a déclaré que la flambée constituait une urgence de santé publique internationale, nous avons activé notre plan d’urgence. À partir du 31 janvier, nous avons commencé à suivre de près toutes les personnes rentrant de Chine.

Le 20 février, j’ai envoyé une circulaire à tous les hôpitaux, les appelant à activer leur plan d’urgence. Ce jour-là, j’ai su aussi par mes contacts à l’OMS que la situation en Iran était inquiétante. J’ai dépêché le même jour une équipe du programme de surveillance épidémiologique à l’aéroport pour monter à bord de l’avion qui venait en provenance d’Iran, où le premier cas a été détecté. La patiente en question a été directement conduite de l’avion à l’hôpital Hariri. Les autres passagers ont reçu comme consigne de rester en isolement chez eux. Ils étaient suivis au quotidien par une équipe du ministère.

Ce qui distingue donc le Liban, c’est que nous étions prêts et nous avons pu détecter le tout premier cas. Et cela a fait toute la différence. De plus, nous continuons à enquêter et à retracer chaque cas, ce qui nous permet d’identifier la source de contamination et d’identifier toutes les personnes qui ont été en contact avec le patient. Bien sûr, nous n’avons pas encore de réponses à tous les cas, mais nous poursuivons nos investigations. La mobilisation générale a certes aidé à freiner la propagation du virus, mais si nous n’avions pas été prêts, nos chiffres auraient été pires.

Le Liban a-t-il réussi à aplanir la courbe ?

Je ne peux être tranquille que lorsque nous commencerons à effectuer 2 000 tests par jour et que les cas tombent à zéro pendant plusieurs jours. Par ailleurs, certaines régions restent toujours incertaines, notamment les camps de réfugiés. Il est encore tôt pour tranquilliser les gens.

Quelle est la stratégie du ministère pour la prochaine étape ?

Le ministère continuera à développer ses capacités, surtout en ressources humaines. Heureusement, nous avons des volontaires qui nous aident dans certains domaines. En plus de notre travail, les mesures collectives doivent se transformer en mesures individuelles, d’autant que nous ne pouvons pas laisser les gens indéfiniment confinés. Il faudrait donc qu’ils puissent poursuivre leur vie tout en se protégeant en portant des masques et en adoptant les mesures d’hygiène. Des mesures qui, nous l’espérons, seront intégrées à leur mode de vie, d’autant que c’est un virus avec lequel nous devrons cohabiter pendant une certaine période encore. Au moins un an si on trouve le vaccin, beaucoup plus dans le cas contraire.

Donc, il faudra le plus possible favoriser le télétravail, créer des systèmes de rotation, etc. Les écoles doivent de leur côté renforcer l’enseignement à distance. Il faudra se réinventer, mais surtout les ministères concernés doivent élaborer les textes de lois correspondants. C’est un chantier qui doit être lancé immédiatement.

Vous êtes favorable à un prolongement du confinement ?

À mon avis, il ne doit pas être allégé avant que nous ayons atteint les 2 000 tests par jour. Il faudra ensuite penser aux moyens de rouvrir progressivement le pays tout en gardant à l’esprit que nous allons devoir recourir aux mesures de confinement au premier signe de danger et selon le comportement du virus. Il faut rester vigilants, d’où l’importance de la surveillance épidémiologique.

Les chiffres annoncés reflètent-ils la réalité ?

Il est vrai que nous pouvons rater les cas asymptomatiques ou ceux qui présentent de légers symptômes, mais nous ne pouvons pas rater les cas sévères ni les décès dus à l’épidémie. Il y a une dizaine de jours, j’ai publié une circulaire appelant les hôpitaux à faire passer le test PCR à tout patient qui présente des difficultés respiratoires quelle que soit la raison pour laquelle il a été admis.

Qu’est-ce qu’on a appris de cette pandémie ?

Qu’il faudra à tout prix renforcer les institutions publiques, d’autant que ce sont elles qui sont en première ligne face aux pandémies. Le Covid-19 l’a montré. Il faut donc investir dans ce secteur. Rien ne se fait dans l’urgence. Il faut travailler à développer les capacités, et cela nécessite du temps. C’est le seul moyen de résoudre nos problèmes.
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